Pierre Trigano, dans son dernier ouvrage " LES ARCHETYPES DE L’INCONSCIENT COLLECTIF -UNE RELECTURE DE JUNG", replace la centralité du SOI comme source transcendante de toute thérapie au cœur de l'inconscient. Il clarifie la relation dialectique qui existe entre la notion d'archétype et celle de Soi et développe de manière originale les différentes formes de pathologies des archétypes et le travail de guérison opéré par le Soi dans les rêves, illustré par des exemples d'analyses de rêves dont celle édifiante du célèbre rêve du phallus de Jung enfant.
Pierre Trigano montre que la recherche de la guérison psychologique des individus est vaine si elle ne se fonde pas d’abord sur le travail intérieur du Soi pour guérir les archétypes. Et, ceci implique de mettre l'analyse de rêves au centre. Son expérience de 40 ans au cours desquels il a pu experimenter ou constater les résultats de divers types de thérapies, le conduit à développer dans ce livre, l’intérêt spécifique et essentiel d’une analyse centrée sur les rêves pour guérir les archétypes et obtenir par là-même ensuite la guérison du moi, guérison que le discours du Moi de l'analyste et de l'analysant sont incapables d'obtenir de façon aussi ancrée dans une thérapie verbale .
Rappel sur la notion d'archétype
Les archétypes sont les énergies de base de l’inconscient collectif de l’humanité, constituant des capacités structurales dont chaque être humain est doté à sa naissance. Elles ont été accumulées par l'expérience de l'humanité depuis la nuit des temps pour faire face à toutes les situations de la vie. Ces capacités sont par exemple : la capacité d’être une mère ou de rentrer en relation avec une mère de par les énergies de l'archétype de la mère, et la capacité d’être ou rentrer en relation avec un père pour l’archétype du père. Les archétypes sont des simili-consciences ou consciences parcellaires constituant les briques de la création de conscience et donc de l’évolution de l’humanité.
En règle générale, un archétype est activé par le Soi pour permettre à un individu ou un peuple de répondre à une situation, notamment en cas de crise. Mais les archétypes sont en même temps des facteurs d’aliénation des individus car ils sont affectés par des pathologies remontant à l’origine de l’humanité. Ces pathologies en font des puissances unilatérales qui les empêchent de coopérer harmonieusement entre eux et causent les souffrances des individus et des peuples en les maintenant sous leur emprise dans des identités fermées, pour leur malheur.
Selon Jung, ce sont en effet les pathologies des archétypes qui déterminent les maladies psychiques des individus et les maladies psychiques collectives de l’humanité du fait de leur emprise sur le moi conscient des individus qui empêche ce dernier d’évoluer et dont il ne peut rien changer par lui-même. Mais, les archétypes sont tous traversés et réunis par le Soi en tant que « pulsion de mariage intérieur » qui œuvre à leur réunion harmonieuse, source de guérison au cœur de l’inconscient. On constate que le Soi vise prioritairement à relever l’archétype de la féminité , c’est-à-dire de l’interrelation et de l’ouverture, archétype opprimé par la pathologie de l’archétype du masculin, c’est-à-dire de l’affirmation identitaire unilatérale tant chez les hommes que chez les femmes, ce que Jung dénomme « inflation » et auquel correspond une déflation du féminin.
L’ANALYSE DE REVE
Dans le scénario du rêve, des archétypes sont mis en scène par le Soi pour que l’archétype dominant confronté à son opposé sorte de son unilatéralité et s’ouvre à une véritable union harmonieuse des contraires au sein de la psyché du sujet.
Si la trace du rêve demeure au réveil, cela favorise la rencontre du Soi et de l'archétype dans le champs du moi conscient au sein duquel l'archétype est présent puisque le moi est sous son emprise. L'analyse des rêves permet alors de favoriser la prise de conscience de ce travail permanent du Soi et permet au sujet d'évoluer plus vite en comprenant et dépassant les résistances archétypales dont il est victime, porté ou inspiré par l'énergie libérée par l'interprétation du rêve.
Le moi que ce soit celui du rêveur ou de l’analyste n'a aucune prise pour guérir les archétypes : le Soi lui seul connaît le chemin subtil de création de conscience pour desserrer vraiment l'emprise de l'archétype sur le moi et transmuter son unilatéralité par infusion , de rêve travaillé en rêve travaillé.
Le rôle du Moi dans l'analyse du rêve est en fait de servir en quelque sorte de "conduit auditif " des archétypes et de « vase » car le Soi ne peut transformer les archétypes que si le moi accepte ce travail de transformation incessante de sa conscience par le Soi . Chercher le point de vue du Soi dans le rêve est donc essentiel pour la thérapie et c’est l’art de l‘interprétation des rêves que de percevoir comment le Soi travaille à guérir les archétypes. Car selon la formule de Jung : « Le Soi brille pour celui qui le voit, (mais) sa lumière est invisible si elle n’est pas vue. Il est alors comme s’il n’existait pas ».
L'analyse des rêves ainsi centrée sur le Soi, vise à établir une relation vivante entre le moi et le Soi ce qui met le rêveur à l'abri d'une dépendance chronique par transfert infantilisant sur la personne de l'analyste. C'est pourquoi Jung ne recourait pas à la thérapie verbale d'une part pour prévenir le risque de rester dans le discours du Moi, inopérant en profondeur, et d'autre part, pour ne pas nourrir le transfert et mettre un terme plus rapidement à la thérapie.
Illustrant comment le destin de l’humanité est aussi impacté par des maladies psychiques collectives, Pierre Trigano propose dans une postface, une analyse archétypale de la crise du coronavirus selon laquelle c’est l’archétype de la Nature qui est activé pour interpeller notre conscient collectif aliéné (la Culture ) et le réconcilier avec la nature authentique de l’humain et par voie de conséquence avec la nature terrestre, toutes deux mises en péril par la civilisation du capitalisme néolibéral mondialisé.
PATHOLOGIES ARCHETYPALES
Je reviens pour finir sur cet aspect très original du travail de Pierre Trigano dans ce dernier livre : les pathologies mère et père .
Pour Jung, la figure de la « mère » en tant qu'archétype est symbole de l’inconscient collectif qui est la nature dans l’être humain et celle du « père » est symbole du conscient collectif qui est culture et langage . Et, pour Jung il y a de la « mère » et du « père » dans chaque archétype .
A partir des conceptions de Jung sur les dimension mère et dimension père de l’alchimie interne des archétypes, Pierre Trigano considère deux formes de pathologies des archétypes qu’ils dénomment « pathologie mère » et « pathologie père » pour garder les dénominations de Jung . Il montre qu’un archétype est donc pathologique lorsque les deux dimensions mère et père ne coopèrent pas harmonieusement et que l’une de de ces deux figures mère ou père domine ou refoule l’autre au lieu de s’unir à elle.
Pour Jung, la « dimension mère » c’est la capacité de l’archétype à saisir les individus et les peuples dans un état de conscience parcellaire donné issu des expériences passées de l’humanité qu’elle convoque (Jung parle de « saisie par l’archétype »). Tandis que la « dimension père » est la capacité dynamique de l’archétype à différencier cet état de conscience par rapport à la matrice des expériences passées pour l’adapter au réel actuel (à l’esprit du temps dit Jung) et ce grâce à la créativité de la culture.
En règle générale, un archétype est activé par le Soi pour permettre à un individu ou un peuple de répondre à une crise mais si le sens de cette crise n’est pas compris, se présente le risque d’une activation unilatérale et donc pathologique d’un deux pôles mère ou père seulement de l’archétype. Lorsque la dimension mère de l’archétype s’active de manière unilatérale, le risque est d’être submergé par l’énergie mobilisée par l’archétype et le cas échéant de ressusciter de manière folle et chaotique des expériences du passé révolu anachroniques. Lorsque la dimension père de l’archétype s’active de manière unilatérale, le risque est alors de se couper de l’énergie « mère » mobilisée, la refouler dans l’inconscient et notamment se crisper dans un statu quo actuel, un ordre établi mental froid prétendument seul raisonnable.
C'est l'apport majeur de Pierre Trigano dans toute son œuvre d'avoir montré que ces pathologies de l’archétype -que Jung dénomme « inflation » - relèvent en réalité de la contamination des archétypes par la pathologie de l’archétype du masculin (laquelle peut se manifester par une activation unilatérale de sa dimension mère ou de sa dimension père). Cette inflation du masculin correspond à une déflation du féminin, et impacte l'humanité en réalité depuis l’origine de l’humanité. Cette pathologie se traduit par ce que Jung formule comme étant la crainte de la conscience ou la crainte de sortir de la sécurité de l’automatisme de l’instinct.
Pierre Trigano pousse la logique de ces conceptions esquissées par Jung en considérant que les archétypes de par leurs pôles mère et père sont tous issus de la conjonction primordiale des deux archétypes Mère et Père que constitue l’alchimie du Soi. Cette filiation et cette polarité commune permettent d’approcher l’alchimie du Soi comme étant la « reliance » qui travaille à réunir les dimension mère et dimension père au sein des archétypes eux-mêmes, pour les harmoniser, mais aussi entre les différents archétypes pour faire de la psyché un mandala vivant selon une des définitions du Soi de Jung qu’il rappelle : « (le Soi est comme ) un centre de la personnalité, une sorte de point central au sein de la psyché auquel tout se relie, par lequel tout se dispose et qui est lui-même source d’énergie …» .
Cette polarité commune des archétypes permet aussi d’approcher le phénomène de dissémination des archétypes les uns dans les autres que l’on constate : par exemple la contamination des archétypes par la pathologie de l’archétype du masculin en inflation , notamment la contamination de l’archétype du père ou de la mère ou encore "l’anima", l'archétype du féminin chez l’homme, et "l’animus", l'archétype du masculin chez la femme, ou encore la contamination de la persona très impactée par l’archétype du père et par ricochet par l’archétype du masculin en inflation. Ces archétypes ainsi contaminés seront alors confrontés à une ombre exprimant la déflation du féminin.
Plusieurs exemples d’analyses de rêves exposés dans ce livre montrent que le travail d’interprétation du rêve implique de percevoir les pathologies archétypales mises en scène dans le rêve et percevoir comment le Soi, de par le tissu des symboles composant le matériau objectif du rêve, travaille à les guérir par l’union harmonieuse des dimensions mère et père des archétypes mis en scène, non pas en isolant tel ou tel symbole du rêve mais en considérant l’ensemble du rêve comme une totalité symbolique donnant le point de vue du Soi .
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