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Une analyse jungienne de la crise de la COVID par Pierre Trigano

Dernière mise à jour : 26 déc. 2020


La pandémie du COVID 19 a été suffisamment puissante pour mettre à l’arrêt près de 4 milliards d’êtres humains et bloquer la toute-puissante économie capitaliste mondiale pendant plus de deux mois.

Nous n’avons certes pas suffisamment de recul pour pouvoir en comprendre tout le sens symbolique. Il nous faudra attendre de voir comment elle évolue au cours des mois et années prochaines. Cependant, nous pouvons déjà contempler une synchronicité importante qui peut nous aider à la qualifier provisoirement. Une synchronicité est comme un symbole vivant dans l’inconscient qui vient « déborder » dans le réel extérieur. C’est vrai dans la vie d’un individu, mais c’est aussi vrai dans la vie collective des nations et de l’humanité entière. Les anciens chinois taoïstes fondaient leur science du réel non pas sur une causalité rationaliste linéaire mais sur le principe de synchronicité que Jung a repris à son compte. Pour eux on en sait plus sur une situation donnée, non pas en étudiant la cause qui l’a produite, mais en contemplant comment des évènements qui caractérisent cette situation « ont aimé se produire ensemble », disaient-ils, dans une même séquence historiques donnée. La synchronicité que je relève est cette pandémie mondiale qui survient juste dans le prolongement des grands super-incendies, de la fin de 2019 et du début de 2020, qui ont ravagé à l’échelle de notre planète des superficies immenses de forêts premières, au Canada, en Amazonie, et surtout en Australie où ils ont provoqué le génocide effroyable de près de 2 milliards d’animaux, sans compter les dizaines de milliards d’arbres et de plantes tués qui sont aussi des êtres vivants.

Le virus a commencé alors sa course mondiale en Chine où il a été transmis à l’homme par le pangolin, petit mammifère inoffensif mais en voie d’extinction massive du fait de la consommation outrancière que les chinois en faisaient. La pandémie a stoppé net cette consommation destructrice. Il semblerait que ce virus ait été lui-même transmis au pangolin par les chauves-souris qui ont été radicalement chassées de leur habitat naturel dans les forêts par la déforestation massive que l’économie capitaliste a opéré en Chine comme ailleurs et se sont ainsi rapprochées, via le pangolin, des êtres humains, pour les infecter. Intégrons que le virus n’est pas nocif sur ces animaux mais qu’il peut être nuisible et mortel lorsqu’il passe aux hommes.

En reliant ces faits sur un plan symbolique, on peut avancer que le virus est né comme une arme de défense (de destruction massive !) de la nature contre la civilisation du capital qui est en train de la détruire. On voit bien objectivement que cette défense a porté ses fruits : en mettant K.O. l’ensemble de l’économie capitaliste mondiale, destructrice de la planète et des équilibres écologiques de la nature, pendant deux-trois mois, cette dernière a commencé à une vitesse étonnante à retrouver ses droits.

Pendant les confinements, au niveau mondial, on a recommencé à respirer un air pur et à revoir le ciel bleu dans les métropoles urbaines jusque-là asphyxiées. De la plaine du Nord de l’Inde, on peut aujourd’hui encore revoir et admirer à des centaines de km à la ronde la belle chaine impressionnante de l’Himalaya qu’une brume polluée compacte cachait désespérément depuis tant d’années. Une étude allemande récente montre que les populations d’insectes qui avaient quasiment disparues en Europe reviennent. Des gros poissons rares, qu’on n’aurait pas cru pouvoir rencontrer viennent habiter dans l’eau des calanques près de Marseille. Et les poissons remontent habiter dans les canaux de Venise qu’ils avaient depuis longtemps fuis, du fait de la pollution. Les oiseaux reviennent de plus belle aussi dans les campagnes. Bref, la nature revient ! Certes, nous ne pouvons pas vraiment nous en réjouir, car, du fait de la pandémie, nous pleurons la mort de nombreux êtres humains de par le monde. Evidemment, tous les dirigeants de la planète espèrent rapidement tourner la page de cette pandémie et reprendre de plus belle l’accumulation du capital destructrice de la nature.

Et aujourd’hui, la plupart des gouvernements qui avaient entrepris le confinement de leurs peuples commencent à mettre en place un mouvement inverse en réaccordant la priorité à l’économie plutôt qu’à la santé. Mais il me parait essentiel de revenir sur l’énormité de cet évènement mondial du confinement, unique par son ampleur dans l’histoire de l’humanité et de l’étudier symboliquement, d’en comprendre le sens d’un point de vue psychanalytique.

Manifestement, l’apparition du COVID-19 a déchainé une immense puissance psychique inédite dans l’inconscient collectif de l’humanité qui, comme je l’ai dit, a été suffisamment puissante pour stopper l’économie mondiale et faire se replier une grande majorité des êtres humains dans leurs maisons.

Cet évènement est révolutionnaire et complètement irrationnel, si l’on y réfléchit bien, car faisant irruption au cœur de notre système capitaliste mondial qui met, dans sa rationalité dominante, l’économie au centre, comme valeur suprême et prioritaire sur toute autre considération. Economie qui s’apprête dès lors à vivre la pire crise historique de son histoire que certains experts comparent par son ampleur à la crise de 1929. Comme notre cerveau mental dominant ne supporte pas l’irrationnel, il entre en ébullition en nous abreuvant de fantasmes complotistes paranoïaques dans le but de nous convaincre, au contraire, de la dimension « terriblement » rationnelle de cet évènement : celui-ci aurait été planifié par les puissances occultes gouvernant ce monde pour incarcérer l’humanité, la priver de toute liberté, etc. La paranoïa projette toujours sur les ennemis qu’elle prétend combattre une omnipuissance machiavélique qui ne fait d’ailleurs que désespérer son combat.

Toutes les tergiversations, ordres et contre-ordres, qu’il y a eu autour de la gestion de la crise montrent au contraire que, derrière la façade de grande assurance gestionnaire qu’ils étaient obligés d’afficher devant leur peuple, nos dirigeants ont été tout autant traversés par l’incertitude, l’angoisse et la crainte de l’effondrement, que leurs administrés. L’irrationnel existe en effet et même, il peut s’imposer massivement à l’échelle mondiale. Jung nous a donné la vision psychanalytique archétypale qui nous permet de comprendre comment d’immenses puissances psychiques de l’inconscient collectif peuvent influer de manière irrationnelle sur l’ensemble de l’humanité. Ces puissances colossales, ce sont les archétypes. Le virus est certes en lui-même un phénomène objectif de la nature et selon notre science en vigueur, bien évidemment il n’a pas de conscience et pas de volonté ou de projet, si ce n’est d’être programmé par un déterminisme biologique aveugle qui le soumet à la nécessité de se reproduire indéfiniment à travers les organismes humains qu’il contamine et qu’il détruit en se reproduisant.

Cependant, comme je l’ai dit, le symbole vivant peut déborder dans le réel extérieur. Pour Jung, ce qu’il appelle le Soi est l’expression de l’unité vivante de l’ensemble du réel au cœur de la psyché humaine. Il a pu montrer que le Soi génère un continuum psyché/matière qui explique l’apparitions des synchronicités reliant un fait physique objectif dans le réel extérieur avec un fait psychique, dans le réel intérieur. La physique quantique est venue fonder cette façon de voir en démontrant que le réel extérieur s’agence selon la façon dont le psychisme humain l’observe. Dès lors, nous pouvons considérer que le coronavirus est un symbole vivant et que la crise qu’il génère dans le monde a un sens profond qui vient de l’inconscient collectif de l’humanité pour interpeller radicalement celle-ci.

Comme le démontre la démarche psychanalytique, il est urgent que les êtres humains comprennent consciemment ce sens pour sortir positivement de la crise. Quel est donc l’archétype de l’inconscient collectif que le virus, en tant que symbole vivant exprime ?

Nous avons vu qu’il apparait comme une arme de défense de la nature, menacée de destruction par la civilisation en place dans l’humanité, à savoir la civilisation capitaliste. Celle-ci, comme on le dit souvent a pour leitmotiv la croissance infinie, l’accumulation incessante de profits qui ne peut que venir progressivement épuiser les ressources de notre monde, par essence fini, exténuer la nature, l’étouffer par la production massive de CO2. Et celle-ci, en retour, vient brutalement de nous interpeller par le virus. C’est pourquoi nous pouvons considérer que le virus est l’expression de l’archétype de la nature qui, à travers lui, s’est activé puissamment dans l’inconscient collectif et a fait en quelque sorte une irruption fracassante dans notre monde conscient collectif.

Pour Jung, les archétypes sont des énergies psychiques colossales qui, dans l’inconscient collectif, condensent toutes les expériences de l’humanité, sous tous les cieux, depuis son origine. Or, à l’origine, il y a bien la nature, dominante, omniprésente, avant même la formation d’une civilisation humaine. L’être humain est d’abord un être de la nature (osons dire : au même titre que les virus !). Il est au départ de son histoire totalement agi par l’inconscient collectif qui, selon Jung, est bien la présence de la nature en l’homme.

A l’origine, la nature l’entoure de toute part, et il est dépendant et soumis vis-à-vis d’elle, comme un petit enfant vis-à-vis de sa mère. Il la craint, a besoin de se protéger du déchainement des forces naturelles, climatologiques, telluriques, animales, qui, au commencement (il y a deux millions et demi d’années), sont plus fortes que lui et risquent de le submerger. Toutes ces expériences originelles de l’humanité sont nécessairement condensées dans l’archétype de la nature, archétype de la vie de l’être humain en tant qu’être de la nature.

Mais à l’autre bout du long arc historique de l’humanité, la donne a changé. Ce serait maintenant plutôt la nature qui est entourée, encerclée de toute part, par l’industrie humaine. Particulièrement notre civilisation, investie par le capitalisme néolibéral, a la folle prétention de complètement subjuguer, dominer, recréer même une nature à son image, complètement asservie à l’impératif de rentabilité.

La nature est en fait de plus en plus refoulée au profit de la « culture », mais d’une culture consciente aliénée, qui précisément n’a plus rien de « naturelle » : complètement enserrée dans des codes linguistiques, économiques, culturels, qui fabriquent des individus de plus en plus abstraits, séparés les uns des autres, enfermés dans leur ego, dans l’obligation de gagner leur vie en la perdant, dans une inflation de productivisme, de consommation stérile, de compétition vaine et d’hypertrophie de mental abstrait.

Les êtres humains modernes souffrent gravement d’être coupés de la nature, aujourd’hui, et la nature souffre gravement d’être refoulée par leur culture aliénée, et c’est elle qui aujourd’hui est réellement menacée d’extinction dans les décennies qui viennent par l’inflation productiviste et consumériste qui l’étouffe dans les gaz à effet de serre.

Entendons avant tout que c’est l’être humain qui, à cause de sa culture industrieuse devenue folle, est vraiment menacé d’extinction, en tant qu’être de la nature dont l’habitat (naturel) est la Terre. Les fourmis arriveront peut-être toujours à s’en sortir malgré l’invasion de CO2 et la hausse vertigineuse de la température de la Terre… L’humanité est donc réellement en danger.

Lorsque l’être humain (individu ou collectif) en a besoin, et il en a besoin lorsqu’il est en crise et en danger, le Soi prend l’initiative d’activer dans l’inconscient collectif le ou les archétypes qui peuvent lui amener une solution. C’est pour moi ce que révèle la crise actuelle du coronavirus. Au travers du COVID-19, le Soi active tout d’abord prioritairement l’archétype de la nature, comme je l’ai dit, parce que l’être humain, en tant qu’être de la nature, est en danger d’extinction (avec la nature elle-même). Activé, comme nous l’avons vu, cet archétype devient une puissance colossale, irrationnelle, qui investit le moi des individus et les saisit, dissout leur autonomie, sans qu’ils puissent s’y soustraire. C’est la dimension matricielle de cet archétype de la nature qui saisit les individus et les replonge dans une atmosphère qui pourrait ressembler aux premiers temps de l’origine de l’humanité.

Voilà en effet que, confrontés au virus, les individus et les peuples se retrouvent plongés dans des terreurs archaïques irrationnelles identiques à celles des premiers hommes préhistoriques qui fuyaient dans les grottes pour échapper à la foudre ou aux fauves qui les terrorisaient. Voilà que les hommes modernes, de manière totalement irrationnelle, dans cette crise, peuvent se sentir traqués et chassés par le virus comme leurs premiers ancêtres par les tigres à dents de sabre. Ils se confinent dans leurs maisons comme les premiers hommes dans leurs grottes.

Je ne tiens pas à discuter du bienfondé de la stratégie de confinement. On explique sa nécessité par le fait avéré que la puissance de contamination du virus est bien plus forte que celle des coronavirus précédents et risque ainsi de provoquer un grand nombre de morts dans les populations si on le laisse circuler librement. Sa vitesse de propagation deviendrait alors exponentielle et désastreuse.Mais on avance aussi qu’il pouvait exister d’autres stratégies.

Quoiqu’il en soit, le fait que plus de la moitié de l’humanité, les peuples avec leurs dirigeants, se soit engouffrée comme un seul homme, sans résistance, dans le confinement, comme les premiers hommes allaient se réfugier dans leurs grottes, ne peut s’expliquer que par le facteur, en lui-même irrationnel, de l’archétype de la nature activé dans leur inconscient qui vient les saisir. Activé, cela signifie qu’il vient s’opposer dans l’inconscient collectif à un autre archétype qui lui est contraire et qui jusqu’à présent domine le moi conscient des individus. Nous pourrions appeler cet archétype contraire celui de la culture consciente collective, le moi collectif de notre civilisation profondément aliénée qui est en train de détruire la nature, et donc l’être humain en tant qu’être vivant sur cette planète. La nature vient en quelque sorte, depuis notre inconscient collectif, sous la forme du virus, s’opposer de plein fouet à la culture humaine collective consciente qui menace de la détruire.

Sous l’épreuve du confinement, les êtres humains ont été replongés plus que de raison dans les peurs archaïques des premiers âges de l’humanité, et c’est en cela qu’ils ont été puissamment investis par l’archétype de la nature. Mais celui-ci a été activé par le Soi pour interpeller la culture consciente collective établie et stopper au moins un moment sa fuite en avant productiviste destructrice de la nature. Or, nous pouvons aussi comprendre que cette culture est entièrement investie par l’archétype de la culture et de la civilisation dominant l’ensemble de l’humanité, qui impose que rien ne change dans l’identité du capitalisme prédateur de la planète, qui impose aux acteurs de ce monde de continuer leur politique de croissance destructrice alors qu’ils sont par ailleurs conscients qu’elle mène à l’effondrement de la vie sur cette planète. Leur mental est submergé, quadrillé par des logorrhées verbeuses, des discours justificatifs, des mots abstraits, qui leur permet d’occulter la réalité en danger en toute bonne conscience. Cet archétype est aujourd’hui profondément pathologique dans son emprise sur le moi des humains en ce qu’il y cultive l’idolâtrie de l’archétype masculin en inflation qui sous-tend toute notre culture consciente moderne. Au point que celle-ci par la toute-puissance des technologies se prendrait même à l’ivresse de devenir dieu en recréant l’homme à son image, « augmenté », plus rentable, délivré de sa nature, comme se l’imagine le transhumanisme. C’est parce que cet horizon de catastrophes apocalyptiques ne peut que se rapprocher dans les années qui viennent, c’est donc parce que l’heure est grave pour l’ensemble de l’humanité, que le Soi prend l’initiative d’activer l’archétype de la nature, à l’encontre de cet archétype pathologique de la culture (ou de la civilisation), avant qu’il ne soit trop tard. Jung écrit que le Soi génère une confrontation pour faire cesser la dissociation au sein de la psyché. Il est clair ici qu’il prend l’initiative de susciter dans nos vies une confrontation entre nature et culture dans notre psyché par le surgissement de ce virus. Précisément, pour faire cesser la dissociation que génère notre culture aliénée, non seulement coupée de la nature vivante, mais qui plus est, destructrice de celle-ci. Cette culture, je l’ai dit, se caractérise, par l’inflation du masculin. L’inflation, c’est symboliquement du « feu », de « l’inflammation ». En venant à son encontre pour l’interpeller, l’archétype de la nature génère par le virus une autre inflation, précisément par les symptômes physiologiques d’inflammation mortelle que le COVID-19 génère dans le corps humain, inflation de la nature pour aller à l’encontre de l’inflation de la culture. Inflation, en termes psychologiques jungiens, ne peut que signifier inflation du masculin. C’est là où il nous faut nous rappeler que le mot latin « virus » est très proche dans cette langue du mot « vir » qui veut dire « masculin » ! Il y a bien symboliquement quelque chose de la toute-puissance masculine, façon invasions des barbares, dans le programme du virus qui le veut toujours en expansion, contaminant nation après nation, « colonisant » corps après corps, jusqu’à les détruire. Mais il s’agit, du côté de la nature, d’une inflation « masculine » qui vient interpeller l’inflation masculine de notre culture aliénée, dans le but de réveiller l’humanité avant qu’il ne soit trop tard, et donc d’ouvrir en elle un chemin qui libère l’union harmonieuse du masculin et du féminin, l’union harmonieuse de la nature et de la culture, une alliance nouvelle avec la Terre. Le Soi est en lui-même une telle union harmonieuse de la nature et de la culture.

Comprenons qu’un fait aussi extraordinaire que le confinement mondial de l’humanité, introduit une rupture symbolique radicale dans son histoire. Il nous montre que le Soi a pris l’initiative d’intervenir dans cette histoire, comme l’annonçaient sous forme symbolique les écrits apocalyptiques anciens, avant qu’il ne soit trop tard. Il veut se réaliser dans la vie consciente de l’ensemble de l’humanité, en tant qu’il est cette union harmonieuse des contraires, de la nature et de la culture. C’est pourquoi il commence par activer l’archétype de la nature au travers de cette pandémie.

Mais ceci implique que d’autres archétypes soient activés en même temps, en cortège. La pandémie finira, encore que je pense qu’elle donnera pendant quelques temps du fil à retordre à ceux de nos dirigeants qui espèrent en tourner rapidement la page pour revenir au monde d’avant.

Mais si le Soi a pris cette initiative d’entrer par elle pour se réaliser dans l’humanité, ceci implique en même temps que d’autres archétypes viennent la réveiller à la suite. Le premier est celui qui traverse toute l’histoire spirituelle de l’humanité et que l’on peut appeler l’archétype de l’initiation. Dans le confinement, l’humanité est appelée à s’initier à un nouveau chemin pour elle. Le retrait à l’intérieur qu’a imposé le confinement s’apparente symboliquement à un temps de vide intérieur, de méditation, où il est possible d’entendre des appels initiatiques renouvelant la vie. Ne projetons pas d’ailleurs des images d’Epinal sur ces appels intérieurs. Ils peuvent utiliser tous les langages symboliques, la rencontre avec Dieu, comme l’engagement pour l’écologie, l’invention de nouvelles luttes sociales et politiques pour s’émanciper de l’ordre établi de notre culture aliénée. Soyons certains que de l’épreuve du confinement surgiront des formes inédites, encore peu imaginables, d’actions « initiatiques » pour la naissance d’une nouvelle civilisation humaine. Précisément, l’activation de l’archétype de la nature ne peut que réveiller à nouveau l’archétype de la création, de la naissance d’une civilisation nouvelle qui surgira du cœur de tous les êtres humains. Enfin, le repliement à l’intérieur des maisons qu’a imposé le confinement n’a pu que faire prendre conscience aux individus à quel point ils ont besoin de l’interrelation humaine pour vivre en humains. Et donc l’activation de l’archétype de la nature pour venir à l’encontre de l’archétype pathologique de la culture établie appelle nécessairement à sa suite l’activation de l’archétype de l’interrelation humaine, de l’ouverture aux autres et la communauté humaine, qui est l’archétype de la féminité intérieure (présente aussi bien dans la psyché des hommes que dans celle des femmes). C’est ainsi la perspective de tout un ensemble de chantiers nouveaux de la vie symbolique de l’humanité qui s’ouvre avec l’interpellation majeure suscitée par la crise du coronavirus. Des rêves que j’ai récoltés au cours des deux mois précédents de la part de mes clients viennent éclairer le sens de cette interpellation venant directement du Soi. Les rêves, expression directe du point de vue du Soi sous une forme symbolique, délivrent bien sûr un message tout d’abord à l’individu qui le reçoit. Mais pour Jung, ils peuvent en même temps présenter une signification collective pour une communauté ou même l’ensemble de l’humanité, puisque celle-ci est traversée par un même inconscient collectif. Dans les temps anciens, on les appelait des rêves « prophétiques ». Une femme d’une quarantaine d’années occupant un poste et des responsabilités professionnelles importantes, sortie d’un burn out et rêvant de changer de vie reçoit ce rêve en deux parties au cours de ce mois d’avril, en plein confinement. Je suis sous la domination d’un homme de pouvoir imbu de lui-même qui se croit supérieur aux autres. Je veux écarter ma fille de 12 ans de son entourage dangereux pour elle. Je suis au levier d’un avion en vol mais, suite à un grave incident technique, les commandes pour le faire atterrir ne fonctionnent plus. Je suis condamné à voler jusqu’à ce que tout le carburant s’épuise. Et alors fatalement je m’écraserai à terre. Je n’ai pas de parachute de secours. Mais subitement je survole un grand lac. Une voix en moi, impérative, me dit, impressionnante, comme si elle occupait toute ma tête : « c’est le moment pour toi de sauter sans hésiter. Tu ne peux faire autrement ! ». Je suis d’abord prise de panique, mais je saute. Je tombe dans le lac et suis d’abord submergée sous l’eau mais je remonte à la surface et regagne la rive pendant que j’entends au loin mon avion se scratcher. Commençons par dire que cet homme dangereux ne correspond à rien dans sa vie réelle et doit donc être compris symboliquement. Il est tout d’abord essentiel de voir que ce rêve a évidemment un sens personnel interpellant pour la rêveuse : il l’appelle à se différencier de la figure masculine intérieure qui a, jusque-là, toujours dominé son moi (figure que Jung appelle l’animus) et l’a engagée dans une affirmation d’elle-même en inflation démesurée dans sa vie professionnelle. Elle prend conscience qu’elle doit protéger de lui sa fille de 12 ans qui, ici, peut vraiment symboliser sa féminité en évolution. Elle est divorcée depuis la naissance de sa fille. Et, en compensation, elle s’est engouffrée totalement dans sa vie professionnelle. Jusqu’ici en effet, l’ambition qu’elle y a investie de manière démesurée lui a fait marginaliser sa vie de femme et fait qu’elle se retrouve aujourd’hui seule. Et elle ne le supporte plus. Ce rêve, en ce sens est simple à entendre parce que la rêveuse est prête à entendre désormais l’interpellation du Soi dans sa vie personnelle. Cependant, ce rêve a été reçu en avril 2020 en pleine période de confinement. Et nous n’avons pas pu faire autrement que d’y entendre une résonance collective. L’avion, condamné à voler toujours jusqu’à ce que son carburant s’épuise et qu’il s’écrase, nous est apparu comme une métaphore évidente de notre culture aliénée engagée dans un mouvement de croissance incessante jusqu’à ce que ses forces vives s’épuisent et qu’elle s’effondre. Le fait de « voler » et d’être coupé de la Terre, jusqu’à épuisement, peut être approché comme un symbole typique de l’inflation de notre culture, coupée de la nature. Dès lors, nous avons compris que le surgissement de la voix transcendante et salutaire, qui interpelle de manière impérative la rêveuse dans son rêve, correspond au moment à grande valeur initiatique que l’humanité vivait à ce moment. Le surgissement de cette voix intérieure symbolise l’interpellation impérative qu’il nous faut entendre dans la crise étonnante de cette pandémie. Si nous n’entendons pas en elle l’appel à un saut qualitatif radical pour notre vie sur cette planète, nous nous écraserons, nous nous effondrerons. Le grand lac qui permet de sauter sans trop de dangers est un symbole de l’inconscient. Mais aussi un symbole féminin. Il faudrait que l’humanité aille vers plus de recherche intérieure, mais aussi vers plus de féminité, plus de culture de l’interrelation humaine, plus de communauté. Certes le fait que la rêveuse commence par sombrer sous l’eau peut paraitre inquiétant mais elle ressurgit avec force, ce qui signifie symboliquement sur le plan collectif que l’humanité peut ressusciter avec force de cette crise, renaitre dans le mouvement d’une civilisation nouvelle. Fin mars 2020, un soignant, engagé dans la mobilisation des hôpitaux, a reçu ce rêve que j’ai travaillé avec lui. Il est très intéressant parce qu’il parle directement du COVID et il est très interpellant. Dans ce rêve, son professeur de médecine, en blouse blanche, diagnostique et traite le « COVID-19 » qui apparait sous les traits d’un homme, lui-même tout de blanc vêtu. Cet homme apparait comme un colosse, le crâne rasé. On devine en lui un militaire, un homme d’action. Le professeur lui dit, souriant, mais avec un air triomphant : « voilà, j’ai pu établir la totalité de votre diagnostic et de votre profil biologique, venez le consulter sur mon ordinateur ». Mais aussitôt que le « COVID » approche, toutes les données s’effacent sur l’écran, comme si elles n’avaient jamais existé. Le professeur est décontenancé et sans voix. Il fait s’allonger son patient sur un lit pour l’ausculter, mais celui-ci se relève brutalement, très en colère, parce qu’il s’aperçoit que, sur toute la surface du lit, une couche de graines de peupliers (qui forment comme une laine blanche très fine et soyeuse) avait été disposée, accumulée de manière compacte et concentrée. Très en colère, il ramasse une grosse poignée de ces graines pour les disperser par la fenêtre du bureau. Le professeur se fait encore plus décontenancé, mais assure son patient qu’il ne court aucun danger, tout a été désinfecté. Ce rêve semble tout d’abord tourner en ridicule les « spécialistes », les savants qui semblent avoir tout compris, tout codifier de ce COVID. On ne cesse de nous submerger dans les médias de leur point de vue autorisé. Avec humour, l’inconscient nous avertit que ce tout minuscule être de la nature qu’est le virus est en réalité un grand soldat puissant qui peut nous attaquer. Il risque, qui plus est, de ne cesser de nous étonner, de nous désarçonner, de faire s’effacer ce que l’on sait de lui, de muter, de produire des symptômes nouveaux comme par exemple, maintenant les symptômes « type kawasaki » qui frappent les enfants entre 3 et 10 ans alors que l’on pouvait dire facilement jusque-là qu’il épargnait les enfants. On découvre aussi maintenant, qu’il attaque les vaisseaux sanguins et crée des embolies alors que jusque-là, on voyait surtout qu’il induisait des symptômes de pneumonie, etc. On ne sait rien non plus de comment il va se comporter dans les mois qui viennent. Va-t-il disparaitre purement et simplement ou revenir plus fort dans une « seconde vague ? ». On ne peut rien préjuger et les savoirs s’effacent devant lui. C’est une invitation à nous différencier de la suffisance de notre culture établie qui a la prétention de tout contrôler, qui se croit toute-puissante. La deuxième partie du rêve est encore plus interpellante en nous montrant que le COVID se fâche et pourrait devenir violent, virulent, lorsqu’il s’aperçoit que le monde du professeur, sa culture, accumule et sédimente les graines de peupliers, ces magnifiques œuvres de la nature, au lieu de les laisser aller librement au grand air pour ensemencer la Terre de ces arbres majestueux. Le rêve semble vouloir ici clairement nous montrer que la crise du virus est bien une réaction violente à la stérilisation tragique de la nature que suscite notre culture consciente aliénée. Il faut bien en prendre conscience, il faut bien que nous l’entendions. L’homme de science est encore une fois ridiculisé car il ne voit que l’aspect sanitaire du problème (« j’ai tout désinfecté ! ») alors qu’il est essentiellement question d’un point de vue ontologique. Il est clair, hélas, que nos dirigeants n’auront de cesse de vouloir retourner, et peut-être de manière encore plus forte, au « monde d’avant », en pensant qu’ils vont vite tourner la page de cette crise et s’engager encore plus résolument dans leur culture malade destructrice de la nature. Mais ce rêve me laisserait plutôt penser qu’il les, qu’il nous, avertit que cela ne se passera pas comme cela. Que les épreuves risquent de se succéder et de ne cesser de nous surprendre, sur le mode biblique des 10 plaies d’Egypte. Et ceci parce que le Soi a commencé (par le COVID) à prendre l’initiative de remettre en question la folie suicidaire de notre culture.

Nous pouvons d’ailleurs voir dans les belles graines de peuplier un symbole du Soi qui veut se disséminer, se communiquer dans nos moi conscients et dans les peuples pour les ensemencer (« le peuple y est !) ».

Ces deux rêves étonnants font déjà cet office. Le Soi qui veut que se réconcilient de manière harmonieuse au sein de notre vie psychique et spirituelle la nature et la culture : une culture nouvelle qui défend et relève la nature et une nature qui en retour délivre dans la psyché humaine et dans sa culture consciente une vie abondante.


Pierre Trigano



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